Au début, je ne vis rien d'autre que ses yeux bleus sous ses longs cils noirs et effilés qu'elle maquille durant de longues minutes devant son miroir. Elle traversa mon champ visuel, ses doigts en caressèrent d'autres que moi, s'attardèrent sur leur peau... elle pencha la tête d'un coté puis de l'autre comme pour mieux apprécier l'exacte beauté de chacun de nous. Sa main nous frôla tous. Elle joua avec nous comme une virtuose joue de sa harpe. Soudain, son regard se posa sur moi. Si nous n'avions pas tous été aussi serrés je crois bien que je me serai évanoui aussitôt. Je compris que j'allais être l'heureux élu. Pourquoi moi? Pourquoi, après tant d'années, me choisir à nouveau quand d'autres, plus classiques, ont déjà fait leur preuve? Car oui, nous avions déjà été amant il y a bien longtemps...combien? dix ans? Un moment inoubliable, rempli de souvenirs merveilleux, qui m'avait fait découvrir les joies du partage. Déjà, lorsque ses mains m'avaient étreint dans ce magasin, il y a tant d'années, mon coeur n'avait fait qu'un bond. Nous nous étions retrouvé seuls, nus sur une plage de sable fin et là, dans le bruit des vagues, nous avions fait l'amour pendant des heures. Beau souvenir, grand souvenir. Aujourd'hui, nous étions tout deux plus vieux. Ma peau avait flétri et de ça et là apparaissait quelques écornures. Mon teint, devenu pâle, n'avait plus ses couleurs d'antan. Et mes entrailles, jaunies, ne dégageaient plus cette odeur de fraîcheur des bois. Pourtant, peut être en souvenir de ses moments de bonheur passé, elle porta une nouvelle fois son choix sur moi...Les copains en furent jaune de déception. C'est ainsi, que nous redevînmes amant trois lunes durant. Elle m'allongea près d'elle sur son lit, tourna mes pages avec la délicatesse que je lui avais connu. Je pu sentir à nouveau son souffle chaud et doux sur chacune de mes fibres. Le moment venu de me poser sur sa table de chevet, jamais elle n'écornait ma page, jamais elle ne plaçait un objet entre mes feuilles au risque de m'abîmer, non, elle se souvenait exactement de l'endroit où nous nous étions quitté. Je savais que ce moment serai bref et que, bientôt, elle me reposerait sur l'étagère de la bibliothèque de son salon, parmi d'autres, serrés comme des sardines. Mais je me contentai d'apprécier chaque seconde de nos retrouvailles comme si c'était la première fois, en espérant ne pas avoir à attendre, encore, dix longues et interminables années, sur cette étagère, avant que nos chemins se croisent à nouveau.