"Nom de Dieu, où est-ce que j'ai encore foutu mes clés ?"
La bibliothèque, donc, s’ouvrit, à gauche de la cheminée, laissant entrevoir aux yeux ébahis d’Henri un étroit couloir pas plus large qu’un homme. Le passage sombre et froid lui inspirait crainte et curiosité à la fois. Les parois de pierre de taille suintaient d’humidité et, par endroit, étaient recouvertes de mousses et de champignons. Henri tremblait, il avait froid. Il mit les mains dans ses poches pour les réchauffer. L’oncle Jean voyant l’état d’Henri, fit demi tour, alla chercher une couverture dans la chambre et l’en revêtit.
- Merci tonton…
L’oncle tapota la tête du petit puis, le prenant dans ses bras, l’entraîna dans les profondeurs de son antre après avoir refermé le passage.
Henri eut juste le temps de percevoir les dernières notes du « Beau Danube bleu » avant que le silence ne les submerge tous les deux.
Depuis le début, Henri s’interrogeait sur ce que le vieil homme voulait lui montrer. Un trésor caché ? Un coffre empli à ras bord de pièces d’or ? Des bijoux ? Trésor perdu des conquistadors, retrouvé pas l’oncle Jean au cours de ses nombreux voyages autour du globe ? Tableaux ? Pierres précieuses ?
L’esprit du jeune Henri se perdit en conjectures et imagina mille secrets, mille mystères, bref mille raisons d’être heureux et d’avoir le cœur exalté.
Ce couloir lui parut interminable, même dans les bras de son oncle qui ne disait mot. Pour passer le temps, il regarda ses mains puis ses ongles. Pas la moindre callosité, pas la plus infime trace de graisse ou d’encre. Il observa avec frustration ses ongles bien entretenus par sa gouvernante qui, chaque matin, lui faisait la toilette et repoussait avec patience et dextérité la fine peau qui recouvrait ses ongles. Lavé, récuré, frotté, gratté, peigné, puis habillé, épousseté, arrangé et présenté tous les matins au jugement maternel, Henri avait l’impression d’être un objet de valeur qu’il fallait entretenir et conserver intact…telle une sculpture de prix. Il aurait aimé au moins une fois, pouvoir se ronger les ongles, s’arracher un cheveu ou traîner des pieds ! Mais sa position privilégiée, comme il avait entendu son père le dire, ne lui permettait jamais de tels écarts de conduite. Henri se demandait pourquoi tant de préciosité, puisque ses parents eux-mêmes ne le voyaient que quelques heures par semaine. Il se souvint avoir posé la question à Odile, sa gouvernante. Elle avait hésité, regardé autour d’elle le luxe de la chambre où dormait Henri, contemplé l’immense parc boisé à travers les fenêtres et posé son regard sur les vêtements d’enfants étalés sur le petit lit puis, se tournant vers Henri, debout dans la bassine argentée, parfumée aux essences exotiques, attendant une réponse, avait dit : « Parce que…parce c’est comme ça, il y des choses qui ne changent pas ! »
Longtemps, le jeune Henri s’était juré de s’évader de ce carcan familial sentant le renfermé et les privilèges. Il attendait avec impatience ses 21 ans.
C’est pourquoi, lorsqu’il entra avec l’oncle Jean dans l’antre de la connaissance, lorsque il lui montra son immense bibliothèque aux milliers de livres tous plus vieux les uns que les autres, Henri sut que là était son salut. Il le sentit plus qu’il ne le sut, comme un instinct de survie vous dicte de ne pas traverser une rue. Il comprit immédiatement, par cette sorte de certitude qu’ont les enfants de son âge, qu’il trouverait les réponses à toutes ses questions et les solutions à tous ses problèmes.
J’ai mis quarante ans de ma vie à constituer cette bibliothèque, dit gravement l’oncle Jean, quarante ans, quatre fois ton âge ! réalises-tu ?
Henri souriait à son oncle, non, il ne se rendait pas compte. Quatre fois son âge ? Autant dire une éternité !
Les livres étaient rangés du sol au plafond, si haut, que le jeune Henri devait se tordre le cou pour en contempler l’immensité ! D’imposantes bibliothèques de bois verni qui dégageaient une douce odeur de miel, paraient les quatre murs de la pièce.
Il admirait le plus grand étalage de livres, romans, traités de philosophie, essais de physique, de chimie, de mathématiques qu’il lui eût été donné de voir de toute sa jeune vie !
L’oncle Jean, le tenant par l’épaule, eût une vision circulaire avec ce regard de fierté qu’Henri lui avait déjà vu, lorsque quelques mois plus tôt, il avait trouvé (ou négocié) les notes manuscrites d’Albert Einstein sur ce qui deviendrait la Théorie de la Relativité.
Henri eût, à ce moment-là, comme un vertige, qu’il ne sut s’il fallait l’attribuer à « l’impériosité » (sic) des lieux ou à l’odeur prenante et enivrante de cire d’abeille qui imprégnait le bois de chêne.
Le politicien, fier de sa victoire, exhibait sur son visage l’expression orgueilleuse de triomphe que suscitait cet accord de paix définitive. Trop heureux de ne pas démériter de la patrie, Daladier ressentait cet accord comme une victoire personnelle sur la guerre. Ce jour là, la France entière, aveuglée par son désir de paix et à peine sortie de la crise économique, s’endormait sur les lauriers poussiéreux de la guerre de 14-18.
Lorsque l’hymne s’acheva, Daladier entama son discours sur la grande entente franco-allemande ratifiée à Munich : « Non, l’Allemagne n’est pas l’ennemi naturel de la France… »
Dans l’immense foule entassée au pied du podium, l’oncle Jean tenait Henri par la main, l’écrasant plus ou moins en fonction du propos démagogique de Daladier. Contrit, parfois stupéfait, souvent affligé, l’oncle jean martelait le sol du pied, en signe d’impatience. Autour d’eux, la foule amassée comme un seul homme, clamait sa joie et son soutien au politicien qui, au milieu de l’estrade, entouré des officiels, illustrait son discours de nombreux gestes. Henri se souvint avoir pensé que, s’il se mettait à pleuvoir, eux au moins seraient protégés.
A cette époque il ne faisait aucun doute que l’accord de Munich fut la seule issue pour la France. Cette France qui, encore une fois, n’avait pas su se préparer à temps, n’avait pas voulu voir l’inexorable montée des extrémismes de tout poil. Ce peuple gaulois qui, bien que ne manquant pas de courage, avait prouvé dans son histoire qu’il savait mieux résister à la tyrannie en place que d’empêcher sa croissance en son sein. Ce peuple gaulois qui, rempli d’une confiance aveugle dans sa classe politique, n’avait pas su voir les manipulations délictueuses d’une certaine classe niant sa souveraineté (la cinquième colonne était née). Ce peuple gaulois enfin, qui, lassé des guerres qu’on lui imposait, était prêt à accepter toutes les compromissions. Comment lui en vouloir à cette France, suivant le cortège des « pays autruches » qui préféraient dîner à la table du diable plutôt que de le servir ? Où va donc se nicher l’honneur d’une nation ?
Sur la place d’Etretat, donc, Daladier recevait les acclamations qu’il croyait méritées. Acclamations unanimes et sincères d’un peuple marqué par les guerres et soumis à la pesante inertie des mentalités conservatrices. Lorsque Daladier finit son discours, il reçoit les applaudissements fournis, comme la récompense d’un travail chèrement payé…
Seul l’oncle Jean, l’expression d’affliction au visage, n’applaudit pas. Statufié de voir autant de naïveté dans ce peuple qui est le sien, il se contentait de sourire amèrement en réponse au monsieur en redingote qui l’exhortait du coude à se joindre à la liesse populaire.
Puis, calmement, et sans aucune agressivité, lorsque les clameurs se furent tues, alors même que les officiels s’apprêtaient à quitter l’estrade, dans un silence assourdissant, l’oncle Jean interpella Daladier de sa voix forte : « Monsieur Daladier, pensez-vous vraiment que l’accord de Munich empêchera les nazis d’envahir la France si bon leur semble ? N’est ce pas plutôt un leurre pour une populace en mal de sécurité et destiné à rassurer les possesseurs de capital ? »
Henri, qui tenait toujours la main de son oncle, sentit les regards l’entourer. Mais l’intervention de l’oncle Jean, par sa spontanéité, par sa soudaineté, par son impudence, l’avait porté, lui, le petit garçon de quelques printemps, comme au cœur de l’Histoire. Du moins c’était l’effet que cela lui faisait. Il s’en senti comme auréolé, des lauriers qui marquent les grands Hommes de notre temps.
Peu importe quelle fût la réponse du politicien, fi de l’indignation générale, de toute façon, Henri n’était pas certain de comprendre ces histoires de grands, l’essentiel était qu’il lui semblait être porté, lui aussi, vers les sommets, et que d’une certaine manière, cette auréole devenait aussi la sienne.
Dans les années qui suivirent, Henri en fut exagérément reconnaissant à son oncle et porta une admiration quasiment sans bornes à l’homme qui avait osé interpeller Daladier.
Au bout de trois semaines on décida que cela suffisait : l’oncle Jean avait gagné cette bataille de tranchées, sa bataille de tranchées. Un matin, le départ des domestiques, qui avaient campé les derniers jours devant la porte, mit fin aux hostilités.
Comme si l’oncle avait attendu cet instant et surveillé les moindres mouvements de la maison dans l’intention de faire son petit effet, il réapparut sans crier gare et fit grande impression lorsqu’il pénétra dans le salon où toute la famille était attablée. Sa silhouette imposante s’immortalisa à jamais dans l’embrasure de l’entrée, il avait les cheveux plaqués en arrière et revêtait son beau costume de flanelle gris. Excepté ses joues plus creuses, l’oncle Jean n’avait pas changé. Il arborait un large sourire et dit d’une voix douce : « Il faudra penser à changer la porte de ma chambre », puis il se dirigea vers sa place habituelle en claudicant de la jambe droite. Une fois assis, en réponse aux regards ahuris que chacun lui portait, il s’exclama en frappant sa jambe droite : « En solidarité de mes amis disparus dans cette putain de guerre ! », puis il éclata de rire, d’un rire libérateur.
Dès lors, il ne quitta plus jamais sa claudication.
L’oncle Jean entraîna Henri dans sa chambre.
Il referma la porte à double tour puis, en enjoignant Henri à se taire, se dirigea vers l’immense bibliothèque qui encadrait la cheminée. Son index suivit les livres situés sur la quatrième étagère et s’arrêta sur un énorme volume traitant de la relativité d‘Einstein. Il le tira lentement à lui en le faisant basculer.
Le jeune Henri avait accompagné son oncle du regard, attentif à l’étrange cérémonie qui le consacrait gardien des secrets du vieil homme. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant la bibliothèque s’ouvrir comme la caverne d’Ali Baba ! D’un signe de la main, Jean encouragea Henri à le suivre. Jusqu’à présent, nul mot, nulle explication n’avaient été nécessaires. Henri était tout simplement fasciné par cet homme, qu’il considérait comme un véritable visionnaire, un homme au caractère trempé dont l’indépendance d’esprit hors du commun était un exemple pour lui, un homme dont l’érudition surpassait celle de son précepteur.
Cette admiration avait émergé d’une simple histoire, d’un événement anecdotique qui, pourtant, avait marqué Henri lorsqu’il en avait eu connaissance quelques mois plus tôt. Cet épisode avait pris place juste avant la « drôle de guerre ». Tout Etretat était en liesse, les magasins de la ville embellis de lampions attendaient la visite d’un grand chef d’état. A l’entrée de la ville, une énorme banderole, suspendue au dessus de la rue principale, clamait les mérites du grand homme et ratifiait la paix signée. Cet homme n’était autre qu’Edouard Daladier, signataire de l’accord de Munich avec Hitler, Chamberlain et Mussolini. Le cortège de voitures traversait la ville que la foule avait envahie. En place de la mairie, la fanfare entamait la Marseillaise, lorsque le véhicule de Daladier s’immobilisa. Les officiels étaient là : maire, adjoint, conseil municipal…et tous, droits comme des lampadaires, écoutaient solennellement l’hymne national, comme si l’avenir de la France en dépendait.
Le ciel lui même, dans un élan patriotique, présentait son plus beau bleu, à l’unisson des drapeaux tricolores qui avaient fleuri sur toutes les façades de la ville.
La p’tite Carole
L’amour, elle ne connaît pas
Elle connaît que les coups bas
Pour ça je ne lui en veux pas
La p’tite Carole
Faudrait lui montrer le chemin
Lui dire que c’est rien
D’aimer, même un peu, quelqu’un
La p’tite Carole
La vie c’est pas du jetable
On ne met pas l’amour à table
Ca ne s’envole pas comme du sable
Petite Carole
Un jour tu l’as vu
Mais tu n’y a pas cru
Ou t’en a pas voulu
Petite Carole
Pourtant j’étais sincère
Maladroit mais pas faussaire
Peut être que ça n’en avait pas l’air
Petite Carole
Quand tu auras fini
De reconstruire à l’infini
Les murs de ton ennui
Petite Carole
Prends un grand marteau
Fonce dedans comme un taureau
Fait un trou comme un anneau
Petite Carole
Et si tu ne passes pas bien
Je viendrai te prendre la main
T’enlever à ton destin
Ma p’tite Carole
Je ne suis pas un pantin
Que tu jettes un beau matin
Pour mieux reprendre le lendemain
Ma p’tite Carole
J’ai un cœur gros comme çà
Que je te donne quand ça ne va pas
Mais ne le maltraite pas
Ma p’tite Carole
Sinon, un beau matin
Il explosera comme un rien
Il nous montrera plus le chemin
Ma p’tite Carole
Tu n’es pas satisfaite
Tu n’en fais qu’a ta tête
Tu n’es peut être pas honnête
Ma p’tite Carole
Tu veux tout, tout de suite,
Rien ne va assez vite
Sinon c’est la fuite
Ma p’tite carole
Je suis moi et c’est comme çà
Je t’aime et je t’en veux pas
Y a toujours des hauts et des bas
Ma p’tite Carole
Mais faut pas croire (loin s’en faut)
Que touts les hommes sont des salauds
Qui ne savent aimer sans les maux
Ma p’tite carole
Faut savoir affronter
Les moments de vérités
A deux on est plus doué
Ma p’tite Carole
Petite Carole…
Petite Carole…